Cela inclut aussi bien des conseils de santé que des articles scientifiques. Ces pages sont retirées —on ignore si la mesure est temporaire ou définitive— pour la seule raison qu’elles contiennent des allusions aux personnes trans, au « genre », à la « diversité » ou même, semble-t-il, aux inégalités raciales. Le New York Times, qui a identifié en fin de semaine des milliers d’URL manquantes —et qui prévient qu’il pourrait avoir sous-estimé le problème— donne en exemple une recherche sur les « disparités raciales et ethniques » chez les patients des États-Unis souffrant de problèmes cardiovasculaires, et une autre sur les disparités ville-campagne dans la prévalence du diabète: parues respectivement en 2024 et en 2021 dans une revue financée par le CDC, Preventing Chronic Disease, ces recherches ne sont plus disponibles sur le site du CDC (le Times les a identifiées par le service Internet Archive, un organisme californien à but non lucratif qui archive automatiquement une partie du contenu du web).
Dans l’ensemble des agences gouvernementales —donc, au-delà de la santé— cela représente un minimum de 8000 pages qui sont disparues ces derniers jours (un mémo envoyé aux agences le 29 janvier imposait comme date butoir vendredi, 31 janvier, en fin de journée pour se conformer aux « directives » du nouveau président). Outre le CDC, l’organisme le plus affecté est le Bureau du recensement, avec 3000 pages manquantes. Mais de nombreux sites qui ont vu des dizaines de pages disparaître tournent autour de la santé, comme Head Start, un programme destiné à la prévention chez les jeunes familles à faible revenu, l’Administration pour la toxicomanie et les services de santé mentale (150 pages disparues) et l’Administration des aliments et drogues (FDA) : dans ce dernier cas, il semble que ce qui ait été ciblé tourne autour des guides des bonnes pratiques pour augmenter la « diversité » dans les recherches cliniques (c’est-à-dire s’efforcer, lorsqu’on teste un médicament, d’avoir des groupes de patients qui soient représentatifs de la population).
Prenez garde à la désinformation.
Le journal Le Nord est une source fiable !
L’urgentologue et expert en santé publique Jeremy Faust révélait samedi que les instructions du CDC envoyées à ses scientifiques vont jusqu’à leur demander de mettre « sur pause » tout article de recherche qui serait actuellement en considération dans n’importe quel journal médical ou scientifique. L’objectif, lit-on dans le courriel envoyé aux scientifiques, serait de s’assurer que leurs textes ne contiennent pas les « mots interdits » que sont, entre autres, « genre, transgenre, personne enceinte, personnes enceintes, LGBT, transexuel, non-binaire, sexe assigné à la naissance, mâle biologique, femelle biologique ».
Cela pourrait donc inclure, détaille Faust, des recherches générales sur le cancer ou sur la COVID qui, dans leurs informations démographiques, parleraient de « genre ». Mais il est clair que cela risque d’affecter plus encore toute recherche sur la santé portant sur les groupes les plus vulnérables de la société. « Est-ce que des recherches qui décrivent des disparités dans la santé tombent sous l’étiquette « idéologie woke »? », ironise-t-il.
Ailleurs qu’en santé, le ministère de l’Agriculture a envoyé comme directive de faire disparaître les pages qui parlent de changements climatiques, révélait le 31 janvier le magazine Politico: « identifier et archiver ou dépublier toutes les pages consacrées aux changements climatiques », en attendant qu’elles puissent être « révisées ». Le Washington Post affirmait de son côté le 31 janvier qu’on avait déjà commencé à remplacer les mots « changements climatiques » par « résilience climatique ».
L’interruption des communications en santé reste en vigueur
La nouvelle directive va donc au-delà de la première qui, le 21 janvier, deuxième journée du nouveau gouvernement, avait été de mettre sur pause toutes les « communications externes » de toutes les agences du ministère de la santé, incluant les avis et recommandations envoyés régulièrement aux hôpitaux du pays. C’est le cas de l’infolettre Morbidity and Mortality Weekly Report, un hebdomadaire qui n’est donc pas paru les 23 et 30 janvier, pour la première fois en 60 ans. Cela met également sur pause la participation des chercheurs à des congrès.
Cette interruption des communications, qui est toujours en vigueur, doit théoriquement durer le temps d’une « révision » des programmes. Mais l’ajout à cela de la « purge » des contenus rend les objectifs plus clairs, commente la virologue de l’Université de la Saskatchewan Angela Rasmussen dans la revue américaine Science : par exemple, un site qui compilait depuis 2015 des données sur les comportements à risque des jeunes est disparu, vraisemblablement parce qu’il compilait des données sur les comportements à risque des personnes LGBTQ.
« Toutes les données sur le VIH sont disparues » du site du CDC, poursuit-elle. Tout comme la page du CDC portant sur le racisme comme « facteur des disparités en santé ». Rasmussen raconte avoir passé une partie de la nuit de jeudi à vendredi à télécharger des données sur la surveillance de l’influenza, inquiète du sort qui leur serait réservé.
« Je savais que ce serait mauvais, mais je ne savais pas que ce serait aussi mauvais. C’est comme une apocalypse de données. »
Et cette censure s’inscrit dans un contexte où la recherche scientifique en général est d’ores et déjà affectée par les décrets présidentiels signés depuis le 20 janvier: la National Science Foundation, un organisme subventionnaire, a « gelé » les paiements pour toute subvention déjà approuvée mais non encore payée, dans l’attente de déterminer si certains aspects vont à l’encontre des politiques —parfois contradictoires— annoncées par Donald Trump. Par exemple, une recherche sur l’efficacité des politiques de diversité en emploi, peut-elle survivre? Un programme de prévention du sida dans les communautés homosexuelles? Une recherche sur le potentiel énergétique d’un nouveau parc d’éoliennes créé par le programme d’infrastructures de Joe Biden?