Durant son séjour, le docteur Killingbeck garde des notes copieuses de son travail. Dans le livre, Clayton’s Kids, ses enfants Jim et Marnie nous font part de son expérience. En 1939, donc durant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement ontarien prend la décision de compléter la route Transcanadienne en passant par le nord de l’Ontario. Il ne reste que la construction de la route de Hearst à Geraldton pour finaliser le trajet. Dans ce chantier de 153 milles, on retrouve 14 camps de construction et chaque contracteur doit bâtir environ dix milles de route.
Le docteur Killingbeck arrive en 1940, et on lui demande d’offrir des services médicaux aux camps 5, 6, 7 et 8. Avant de partir, on lui fournit les vêtements nécessaires ainsi qu’un révolver de calibre 38 : les docteurs doivent souvent voyager d’un camp à l’autre en forêt, par eux-mêmes. On lui donne ensuite un sac à dos contenant une trousse de premiers soins ainsi que six pinces dentaires, puisque les docteurs doivent aussi extraire les dents dans ces camps.
Robert Killingbeck est conduit par train jusqu’à la gare de Savoff, une cabane de 12 par 12. De là, un tracteur l’amène au premier camp de construction, situé dans une clairière. On y distingue huit dortoirs de vingt lits chacun, et trois autres bâtisses. La première contient la cookerie et la salle à manger ; la deuxième, le quartier général ; et la troisième est le quartier des docteurs avec six lits pour malades.
Les travailleurs avec expérience gardent toujours leurs haches bien limées et se blessent rarement. Les nouveaux venus apprennent avec peine qu’une hache émoussée (non limée) peut facilement glisser sur le bois et leur blesser une jambe sérieusement. Le terrain varie aussi de camp en camp. Certains contiennent beaucoup de roc et on doit se servir de la dynamite, ce qui cause de nombreuses brulures et des doigts manquants.
Pour aller d’un camp à l’autre, le docteur se rend au sentier avec une équipe de travail et il doit ensuite marcher à travers la forêt pour le restant du trajet. Un jour, il s’aperçoit que trois loups le suivent, mais heureusement il n’a pas à se servir de son révolver.
Durant la journée, le docteur passe beaucoup de temps à la salle à manger. Le petit-déjeuner est à 5 h 30 chaque matin. Il est interdit de parler en mangeant : premièrement parce que les hommes peuvent manger plus rapidement et donc donner leur place aux prochains, et deuxièmement pour ne pas causer de friction entre les hommes de différentes nationalités. Lors du petit-déjeuner, la table de service est remplie de nourriture de même qu’au diner. Le docteur est surpris de voir un travailleur glisser six œufs sur son assiette. Il y a en plus de nombreux bols de pommes de terre, de grands plats pleins de steak de jambon ou de bacon, des beignes, du pain, du pain grillé ainsi qu’une bonne sélection de tartes et des gâteaux – oui, même pour déjeuner. En sortant, chacun reçoit un gouter très généreux de sandwiches. Le diner contient surtout des steaks, des rôtis de bœuf ou des côtelettes de porc. On voit rarement du poulet ou des salades. Le docteur estime que chaque homme mange de 6 000 à 8 000 calories chaque jour, mais il semble que c’est ce qu’ils dépensent aussi, car ils ne semblent pas faire de l’embonpoint.
Il y a deux cliniques journalières pour les soins médicaux, soit de 8 h à 9 h 30 et l’autre de 16 h à 17 h 30. Très peu d’hommes se présentent parce qu’ils ne veulent pas manquer du travail et gagner moins d’argent. Ils sont généralement en bonne santé et les accidents sont rares. Le soir, la majorité des hommes sont au lit pour 21 h, fatigués, mais aussi bien nourris. Le docteur n’a fait face qu’à une épidémie de dysenterie (diarrhée) dans l’un des camps lors de son séjour.
Le docteur doit payer pour tous les médicaments ainsi que pour l’hospitalisation des travailleurs. Par ailleurs, s’il s’agit d’un accident de travail, c’est la Commission des accidents de travail qui est responsable des couts.
À la fin de l’été 1940, le docteur Killingbeck est parti pour faire sa dernière année à la faculté de médecine de l’Université Queen’s.