le Lundi 2 décembre 2024
le Vendredi 22 novembre 2024 8:00 | mis à jour le 22 novembre 2024 15:59 Chroniques

Le poids de l’ombre américaine

Le discours populiste n’est pas arrêté par les frontières et le Canada doit rester vigilant. — Photo : Tom Coe – Unsplash
Le discours populiste n’est pas arrêté par les frontières et le Canada doit rester vigilant.
Photo : Tom Coe – Unsplash
La réélection de Donald Trump aux États-Unis n’a rien d’un coup de théâtre. Ce n’est pas tant un choc qu’un sombre pressentiment qui se confirme, la cristallisation de nos pires craintes. La preuve que les divisions, la polarisation et les discours décomplexés n’étaient pas qu’une phase temporaire.
Le poids de l’ombre américaine
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Le retour de Trump au pouvoir s’impose comme une nouvelle pierre à l’édifice d’un discours populiste sans filtre qui brouille toujours plus les lignes entre le débat d’idées et la division des sociétés.

Cette victoire, bien qu’annoncée par certaines personnes, porte un poids symbolique énorme. Elle confirme que des millions de gens adhèrent encore à cette vision d’un monde où le populisme et la peur dominent.

Et si ce choix appartient aux États-Unis, ses conséquences, elles, ne s’arrêtent pas à leurs frontières.

Un pas en avant, deux pas en arrière

Trump, avec son style abrasif et son mépris pour le politiquement correct, incarne une libération des paroles rétrogrades envers les femmes, les minorités et les communautés 2SLGBTQIA+. La question, maintenant, est de savoir à quel point cette «décomplexion» influence les discours au Canada.

Regardons les provinces : au Nouveau-Brunswick la population a rejeté le premier ministre conservateur Blaine Higgs et ses attaques contre les droits 2SLGBTQIA+, lors des dernières élections provinciales.

Pendant ce temps, en Alberta, la première ministre Danielle Smith semble emprunter une voie conservatrice plus assumée, sorte d’écho canadien aux idées trumpiennes.

Ces contradictions reflètent un pays divisé, où chaque province semble réagir différemment aux vagues populistes venant du Sud. Un pays qui, à force de marcher sur une corde raide entre progressisme et conservatisme, risque de perdre l’équilibre sous l’influence des vents venus d’ailleurs.

À lire : Les minorités canadiennes et l’élection de Donald Trump

Des droits reproductifs préservés?

Comparons. Aux États-Unis, le coup de massue de la révocation de Roe c. Wade a laissé des cicatrices vives, remettant brutalement en question le droit à l’avortement.

Ici, au Canada, le silence sur cette question pourrait presque sembler rassurant. Même en Alberta, où les conservateurs dominent, aucun recul tangible sur l’accès à l’avortement n’a été noté.

Mais la tranquillité est-elle synonyme de sécurité? Avec la montée en puissance de candidat·es pro-vie au sein du Parti conservateur du Canada, faut-il s’attendre à ce que les étincelles américaines enflamment un jour notre paysage? Si la justice canadienne reste un rempart, elle ne protège pas les discours qui pourraient changer l’opinion publique.

Ainsi, si le Canada semble, pour l’instant, épargné par les bouleversements observés aux États-Unis. Il serait naïf de croire que nous sommes à l’abri. Les discours évoluent, les mentalités aussi.

Et dans un monde où les idées traversent les frontières plus rapidement que jamais, il est essentiel de rester vigilant·es et de défendre activement les droits acquis, sans jamais les considérer comme définitivement acquis.

Des groupes viennent manifester périodiquement à Ottawa pour demander plus de protection pour le droit à l’avortement au Canada. 

Photo : Inès Lombardo – Francopresse

À lire : Le droit à l’avortement n’est «jamais acquis» au Canada

Une menace silencieuse

En parallèle à ces bouleversements politiques, un autre phénomène inquiétant prend de l’ampleur : la montée des discours masculinistes. Ces idées, souvent véhiculées en ligne, valorisent une vision toxique de la masculinité et rejettent l’égalité des genres, transformant le débat public en champ de bataille idéologique.

La semaine dernière, l’influenceur d’extrême droite Nick Fuentes a enflammé les réseaux sociaux en détournant le slogan féministe «My Body, My Choice» pour déclarer : «Your body, my choice. Forever.»

Ce message, perçu comme une attaque directe contre l’autonomie corporelle des femmes, illustre la manière dont ces mouvements cherchent à détourner des acquis progressistes pour imposer une domination symbolique.

Aux États-Unis, ce slogan devient une arme de propagande masculiniste, alimentée par un climat culturel où la réélection de Trump semble donner une légitimité supplémentaire à ces idées rétrogrades.

Amplifiés par les réseaux sociaux, ces discours séduisent certains groupes au Canada, menaçant de fragiliser les avancées féministes. Si nous laissons ces idées proliférer sans les confronter, c’est non seulement l’égalité des genres qui est en jeu, mais aussi les fondements mêmes d’une société basée sur le respect et la justice.

À lire : 2022 : l’heure du bilan féministe

Un miroir américain

Le Canada, avec ses systèmes politiques et juridiques distincts, résiste peut-être bien aux influences idéologiques venues du Sud. Cependant, les discours de Trump trouvent des échos, parfois subtils, dans nos débats nationaux.

Alors, que faire face à cette ombre qui s’étend? Résister aux influences américaines demande plus qu’une indignation passagère. Il faut reconnaitre nos propres failles, nos propres contradictions.

Le Canada se vante d’être une société ouverte, mais il ne peut ignorer ses divisions internes, ses tensions politiques et l’impact de discours populistes qui s’y insinuent.

La réélection de Trump est un rappel brutal : les idéologies ne respectent pas les frontières. Si nous voulons défendre les valeurs progressistes que nous proclamons, il nous faut plus que des mots. Il nous faut des actions concrètes pour protéger les droits acquis et repousser les discours de haine, chez nous comme ailleurs.

Originaire de Belgique, Julie Gillet est titulaire d’une maitrise en journalisme. Militante éprise de justice sociale, voici près de quinze ans qu’elle travaille dans le secteur communautaire francophone et s’intéresse aux questions d’égalité entre les genres. Elle tire la force de son engagement dans la convergence des luttes féministes, environnementales et antiracistes. Elle vit aujourd’hui à Moncton, au Nouveau-Brunswick.

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