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le Mercredi 7 février 2024 1:46 | mis à jour le 19 août 2024 20:43 Chez nous

Dans le temps comme dans le temps – Hommage aux nôtres : Jean Gagné

Dans le temps comme dans le temps – Hommage aux nôtres : Jean Gagné
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C’était en 1961, ma première année au Hearst High School. J’avais 13 ans et j’en étais à ma troisième année à travailler au Théâtre Royal. Les deux premières années, j’étais huissier avec ma lampe de poche et je plaçais les gens qui arrivaient en retard. Je travaillais seulement les fins de semaine. En 1961, cependant, j’avais gradué au poste de « déchireur de billets » à la porte d’entrée. Je travaillais donc tous les soirs de la semaine et le samedi après-midi. La vente de billets se terminait à 10 h le soir, ce qui me permettait de retourner chez moi. Je partais à la grande course puisque la sirène de 9 h avait déjà sonné. J’avais peur de me faire arrêter par un policier, mais je n’ai jamais eu de problème parce que la plupart du temps les policiers étaient au théâtre à regarder le film gratuitement, debout sur des caisses de boissons gazeuses à l’arrière de la salle. Je demeurais au 1124 rue Prince. Un soir, au début de septembre, en passant devant le High School j’ai remarqué que les lumières de la classe près du bureau du principal Charbonneau étaient allumées. Je trouvais ça étrange et plus tard j’ai demandé à mon frère Raymond, qui était en 11e année, s’il en savait quelque chose. « Ils ont embauché un nouveau prof », me dit-il. « Il arrive de Smooth Rock Falls et c’est sa première année d’enseignement. En plus, ils lui ont donné les mathématiques et les sciences à enseigner. Ce n’est pas surprenant qu’il passe ses soirées à se préparer. Son nom est Jean Gagné. » Au début de l’année scolaire, j’apprends qu’il était mon prof de maths et de sciences. Plus tard, on a trouvé un prof de sciences (M. Fritz Stiller) pour lui soulager la tâche. Nous avons passé de belles années avec ce jeune enseignant qui travaillait très fort et avait toujours à cœur le succès de ses élèves.

En 1962-1963, lorsque j’étais en 10e année, je faillissais les sciences avec M. Stiller. M. Gagné qui, dans le temps, était aussi conseiller en orientation, m’avait pris de côté et avait jasé avec moi pendant un bon bout de temps au sujet de mon rendement en sciences. Je me souviens que j’avais décidé de me retrousser les manches et à la fin de l’année ma note en sciences avait remonté dans les 80.

En 1963, nous étions en classe de english et, tout à coup, on entend cogner à la porte. Sans attendre qu’on lui dise d’entrer, voilà M. Gagné qui arrive dans la classe, tout essoufflé et blanc comme un drap, en disant : « On a tiré sur le président Kennedy. On ne sait pas qui a fait ça ni comment est le président. » John F. Kennedy est mort plus tard dans la journée. Dans le temps, on venait de passer à travers la crise de Cuba et tout le monde se doutait qu’il pouvait s’agir d’une vengeance de la Russie. Plusieurs envisageaient la possibilité d’une troisième guerre mondiale.

En 1964, le directeur Armand Côté donne la permission aux profs Gagné et Labrosse de construire une patinoire extérieure, à l’ouest de l’école. Ils achètent donc les bandes pour ériger le périmètre de la patinoire et organisent une fin de semaine avec des étudiants volontaires pour arroser 24 heures sur 24. Je faisais partie de ces volontaires. Inutile de dire que nous n’avions pas les talents d’un monsieur Stolz qui arrosait la patinoire au centre récréatif pour étendre une mince épaisseur d’eau à la fois et répéter le processus couche après couche. Le lundi matin, nous avions créé une patinoire avec des bosses partout, sur laquelle il était impossible de patiner. On a donc laissé tomber la patinoire extérieure, mais je n’oublierai jamais le plaisir que nous avons eu à travailler et vivre ensemble, profs et élèves, jour et nuit, pendant cette fin de semaine.

Il va sans dire que l’exemple qu’il a toujours donné s’est avéré une influence marquante sur mon choix de carrière comme enseignant. Je me rappelle que lors de la visite des parents à l’école élémentaire Saint-Louis où j’enseignais il venait toujours me voir en classe et nous avions constamment une discussion sur le rendement et l’attitude de ses enfants. Lorsque j’ai accédé au poste de directeur du côté français et catholique de l’École secondaire Hearst High School, je me demandais comment il réagirait, mais il a toujours su faire preuve de professionnalisme tout en gardant à cœur le succès de ses élèves.

Jean Gagné a touché plusieurs vies lors de son séjour à Hearst et je suis très fier d’admettre que je suis un de ceux-là. Jean ne faisait pas beaucoup de bruit, mais il a certainement laissé sa marque.

La photo de Jean Gagné a été affichée sur le site Hearstory par Ernie Bies.