Des records de chaleur de plus en plus fréquents et de plus en plus inquiétants, mais aussi des percées politiques encourageantes. L’année 2022 a permis d’envisager l’horizon 2030 ou 2050 avec de nouvelles informations.
1- Financement, le mot-clef…
Il y avait 30 ans que, dans les conférences annuelles sur le climat, on évoquait le concept de compensations aux pays les plus pauvres —et les plus vulnérables. Cette année à la COP27 en novembre, pour la première fois, le concept de « pertes et dommages » a été introduit —ce qui veut dire que les pays qui ont envoyé le plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis un siècle ont commencé à admettre leur responsabilité. Et comme quoi le fruit était mûr, un mois plus tard, lors de la conférence annuelle sur la biodiversité, contre toute attente, des promesses chiffrées ont été mises sur la table pour des investissements dans la protection de la biodiversité et la restauration d’écosystèmes.
Est-ce que les résultats seront à la hauteur des promesses dans quelques années, personne ne peut le garantir. Mais c’est peut-être un signe que les plaques tectoniques sont en train de bouger.
2- … mais pas de sortie des carburants fossiles en vue
Par contre, l’accord signé au terme de la COP sur le climat ne mentionne pas la sortie des carburants fossiles. La mollesse de la présidence égyptienne, qui accueillait la rencontre, l’omniprésence des lobbyistes du gaz et du pétrole sur le plancher, la crise de l’énergie déclenchée par l’invasion de l’Ukraine: beaucoup de blâmes ont éré évoqués, mais au final, le résultat est le même, aucun progrès sur les efforts à faire pour se désengager de la dépendance aux énergies fossiles. Plusieurs pays, dont le Canada, ont aussi été blâmés pour n’avoir même pas proposé de cibles de réduction des gaz à effet de serre plus ambitieuses aux horizons 2030 ou 2050.
3- On pointe des subventions « nuisibles »…
En contrepartie, les pays ont inscrit dans l’accord de Montréal que le financement de la biodiversité viendra en partie de coupes majeures, d’ici 2030, dans les subventions qualifiées de « nuisibles » à la biodiversité (on évoque des coupes de 500 milliards$). C’est une première. Sont rangées sous ce terme, entre autres: les subventions à l’extraction des ressources naturelles, à la construction de routes et de pipelines, ou à des projets industriels, qui ont en commun de mettre en péril l’habitat d’espèces comme le caribou, le saumon et d’autres espèces menacées.
4- … et les assureurs mettent de la pression
En octobre 2022, Munich Re, la plus grosse firme d’assurances du monde, a annoncé qu’à partir d’avril prochain, elle n’assurera plus de nouveaux gisements gaziers ou pétroliers. Elle avait déjà annoncé en 2018 qu’elle cessait d’assurer les mines de charbon et leurs centrales. Plus récemment, elle a affiché des cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES), pour les projets qu’elle assure dans le gaz et le pétrole.
Ii y a quelques années déjà que les banques et les firmes d’investissements se dégagent lentement des carburants fossiles. Mais les assureurs étaient passés sous le radar, en dépit de leur grande influence: ils ont la capacité de bloquer des projets d’exploitation des carburants fossiles, dès qu’ils choisissent de ne pas les assurer.
En mars 2022, l’Agence internationale de l’énergie avait lancé un appel « urgent » à cesser d’ouvrir de nouvelles mines de charbon ou de nouveaux forages gaziers ou pétroliers.
5- Des records interconnectés…
Il n’y a pas que les records de chaleur qu’il faut regarder. Le rapport de mai 2022 de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) l’a rappelé, en pointant quatre indicateurs-clefs qui, tous, ont battu de nouveaux records en 2021: concentration des GES dans l’atmosphère, hausse du niveau des eaux, température des océans et acidification des océans. Cette dernière, dont on parle beaucoup moins souvent, a augmenté de 30% depuis la révolution industrielle du 19e siècle. L’acidification vient du fait que les océans absorbent environ le quart de nos émissions de GES : l’avantage est que ça fait moins de ces gaz qui s’accumulent dans l’atmosphère. Mais en contrepartie, ça limite la capacité du plancton à se renouveler, ça affaiblit les coraux et ça perturbe la biodiversité marine, donc les pêches, donc la sécurité alimentaire des humains.
On a vu un autre exemple d’interconnexions avec l’extrême canicule qui a frappé la Chine cet été. Outre les records de chaleur, les précipitations ont été si faibles que des dizaines de cours d’eau se sont retrouvés à la fin de l’été à leurs plus bas niveaux, et 66 ont été complètement asséchés. En certains endroits, le plus important fleuve de Chine (et le troisième du monde), le Yangtze, a vu son débit descendre à son plus bas niveau depuis 1865.
6- … y compris des records locaux…
Même un record local peut être révélateur de quelque chose de plus global. Le Golfe du Maine, selon une compilation des données publiée en mars, se réchauffe plus vite que 99% des milieux marins du monde. Une partie de l’explication : ce golfe est peu profond, et le courant chaud provenant du sud a ralenti, ce qui permet aux eaux plus chaudes de rester plus longtemps dans les parties intérieures du golfe. Cette compilation de données révélait par ailleurs qu’en 2021, il avait battu un nouveau record de température.
On peut aussi penser à l’Inde: la chaleur extrême qui a frappé la région n’a pas juste été extrême, elle a été inhabituellement hâtive (ça avait commencé au mois de mars), et elle a duré inhabituellement longtemps.
Ou on peut penser à l’Europe: pendant 33 mois, d’avril 2018 à décembre 2020, elle a connu des précipitations très maigres et des températures assez élevées pour qu’on puisse parler d’un état de sécheresse. Une analyse des données parue cette année conclut qu’il s’agissait de la pire sécheresse en 250 ans.
7- … mais des carburants fossiles toujours en hausse
En attendant, si la tendance se maintient, les émissions mondiales de CO2 devraient atteindre 37,5 millions de tonnes cette année —une hausse de seulement 1% par rapport à l’an dernier, mais une hausse tout de même, qui marque un nouveau record.
La guerre en Ukraine y a contribué: les coupes dans les importations européennes de gaz russe ont obligé notamment l’Allemagne à revenir au charbon —le plus polluant de tous les carburants fossiles. Et la volonté d’importer davantage de gaz naturel liquéfié des États-Unis et du Moyen-Orient pourrait se traduire par davantage de fuites de méthane.
8- Un coup de pouce des États-Unis…
En contrepartie, une contribution longtemps attendue des États-Unis a été finalement adoptée cet été: la loi dite « de réduction de l’inflation » contient les plus gros investissements publics jamais votés dans ce pays pour le climat: 369 milliards$ sur 10 ans dans l’éolien et le solaire, les véhicules électriques et la réduction des émissions industrielles, entre autres.
9- … et une transition énergétique grâce à la guerre en Ukraine
Parallèlement, les pays qui ont soudain découvert qu’ils étaient trop dépendants du gaz et du pétrole russe, ont accéléré leurs plans de transition énergétiques immédiatement après l’invasion de l’Ukraine. Au final, constatait en octobre l’Agence internationale de l’énergie dans son rapport annuel (World Energy Outlook), les nouvelles dépenses dans les énergies renouvelables pourraient augmenter d’au moins 50% dans la prochaine décennie. Au point où la hausse de la consommation de charbon de 2022 pourrait bientôt devenir un mauvais souvenir.
10- L’année de la science de l’atttribution
Si la question des compensations financières à accorder aux pays pauvres s’est retrouvée pour la première fois à l’ordre du jour, c’est en partie parce que la science du climat a suffisamment progressé depuis 10 ans pour fournir des outils permettant de calculer ces compensations. Plus précisément, une sous-discipline encore jeune, la science de l’attribution. Grâce à des modèles climatiques qui se raffinent, des climatologues comme ceux du World Weather Attribution calculent dans des délais très courts la probabilité qu’un épisode de météo extrême soit ou non attribuable au dérèglement climatique.
Plus de 500 études d’attribution publiées à ce jour, dont près des deux tiers depuis 2017, ont conclu en majorité que les catastrophes météorologiques de la dernière décennie étaient plus probables ou plus intenses à cause des changements climatiques causés par l’humain.
Par exemple, en octobre, leur analyse des méga-sécheresses de 2022 (Chine, Europe, États-Unis) concluait que le réchauffement climatique les avait rendues 5 fois plus à risque de se produire, et jusqu’à 20 fois plus à risque pour ce qu’on appelle la sécheresse du sol racinaire.