Qui dit Canada, dit lacs, fleuves et rivières en masse. Le pays dispose d’environ 20 % des réserves d’eau douce et de près de 7 % des réserves renouvelables de la planète, pour moins de 0,5 % de la population mondiale. Pourtant, ces ressources sont loin d’être inépuisables.
«Au Canada, les gens ont un faux sentiment de sécurité pour ceux qui ne comprennent pas la crise [de l’eau]», lâche Soula Chronopoulos, présidente d’AquaAction, une organisation dédiée à la santé de l’eau douce en Amérique du Nord.
Une crise qui se caractérise par des extrêmes, causés par les changements climatiques : sècheresses à l’Ouest, tempêtes et inondations à l’Est, explique la chercheuse.
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Inégalité de l’offre et de la demande
«Nous avons de gros soucis avec les variations spatiotemporelles», confirme le professeur agrégé au Département de génie civil à l’Université d’Ottawa, Hossein Bonakdari. À Vancouver, en Colombie-Britannique, il pleut plus de 1000 millimètres par année, mais seulement 30 mm en été illustre le chercheur, ce qui cause des épisodes de sècheresse.
Le dérèglement climatique ne fera qu’aggraver ces déséquilibres, alerte le responsable des politiques canadiennes à l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, Maxime Hayet.
«Il y a des agriculteurs qui déjà doivent puiser dans les nappes phréatiques parce qu’il y a des épisodes de sècheresse importants et que les nappes n’arrivent pas à se remplir.» Et lors des inondations, la pluie ruissèle au lieu d’être retenue par le sol.
Une demande accrue
Selon un rapport de Statistique Canada publié en juillet 2024, l’utilisation de l’eau dans l’industrie des cultures agricoles a augmenté de 30,9 % entre 2019 et 2021, coïncidant avec de faibles niveaux de précipitations, notamment dans les Prairies.
Mais l’or bleu reste également une ressource très prisée des ménages. Leur demande en eau augmente plus rapidement que la population. Leur part d’utilisation est passée de 8,4 % à 8,8 % entre 2019 et 2021, soit une augmentation de 5,7 % du volume d’eau d’une période à l’autre.
En 2021, les ménages canadiens ont consommé en moyenne 223 litres d’eau par jour par personne, ce qui correspond à un total de 2 678 millions de mètres cubes, soit 55 % de l’eau potable produite dans les usines de traitement.
Sensibiliser le public
Pendant ce temps, «la consommation d’eau a augmenté», remarque Hossein Bonakdari. Il évoque des modes de vie avec des équipements gourmands en eau, comme les piscines, les systèmes d’arrosage ou certains électroménagers. Selon lui, il est essentiel de sensibiliser davantage la population.
De petits gestes comme arrêter le robinet quand on se savonne sous la douche n’ont pas encore été adoptés par les consommateurs, relève Maxime Hayet, «probablement en bonne partie parce que l’eau n’est pas payante» partout.
Certaines municipalités au pays ont cependant déjà adopté la tarification à l’utilisation calculée au moyen de compteurs d’eau. Les infrastructures et les services nécessaires pour traiter l’eau et la distribuer sont en outre parfois financés par une combinaison d’impôts fonciers et de frais d’utilisation.
De plus, les capacités de traitement de l’eau n’ont pas augmenté, alors que la population, oui, commente le responsable. D’après lui, cela pourrait entrainer des pénuries d’eau, obligeant les villes à imposer des restrictions, comme l’interdiction d’arroser la pelouse.
D’autres solutions existent, comme l’utilisation de bacs pour récupérer l’eau de pluie qui tombe des toits, l’aménagement de jardin, l’amélioration de l’absorption et des initiatives liées au concept de «ville éponge», énumère-t-il.
Risque de pénuries
Cet été, les problèmes de canalisations et d’aqueducs défaillants ont fait les manchettes. La rupture de la principale conduite d’eau de Calgary, en Alberta, a mené à une importante restriction pour ses habitants.
L’Alberta a par ailleurs été pointée du doigt par un rapport pour la mauvaise gestion de ses eaux de surface.
Des infrastructures vieillissantes
La préservation de la ressource passe aussi par l’installation de réseaux efficients. «Au Canada, on a des infrastructures très vieillissantes», expose Maxime Hayet.
«Dans beaucoup de villes, la moitié de l’eau potable produite est perdue dans le transport parce que les tuyaux sont très vieux», indique le directeur de l’Association internationale de recherche sur les Grands Lacs, Jérôme Marty.
Pour Hossein Bonakdari, il est indispensable de moderniser les infrastructures et de s’adapter avec des technologies durables pour réduire la consommation d’eau et améliorer sa qualité.
Mais cela demande des financements importants que les villes n’ont pas forcément, souligne Maxime Hayet, même s’il reconnait les efforts fournis par les municipalités.
L’absence de données de consommation individuelle fiable pour toute la population empêche également, selon lui, la prise de conscience du public. «Quand il arrose son entrée de garage pour la nettoyer, le citoyen sait que ce n’est pas bien, mais il ou elle ne va pas forcément se rendre compte à quel point sa consommation est importante.»
Un enjeu de santé publique
L’accès à l’eau potable est l’autre enjeu majeur. Comme le rappelle Soula Chronopoulos, «nous sommes une nation riche en eau, mais ça ne veut pas dire qu’on peut la boire». Celle-ci doit être traitée.
«Les eaux qui se trouvent au sud du Canada sont généralement polluées parce qu’on a plus d’activité humaine», détaille Jérôme Marty, mentionnant les exploitations minières et agricoles.
«Dans des communautés éloignées, où on va avoir des communautés des Premières Nations, on observe qu’ils n’ont même pas accès à une eau potable, ce qui est quelque chose de dramatique», dénonce le spécialiste.
Selon l’Assemblée des Premières Nations (APN), le fédéral devrait investir 6,6 milliards de dollars pour répondre à la crise de l’eau potable et des services d’assainissement dans les communautés autochtones.
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Plan de gestion
Traitement des eaux souterraines, programme de protection contre la sècheresse, exploitation des structures pour la rétention d’eau : «Il faut avoir un plan assez fort pour la gestion de l’eau», insiste Hossein Bonakdari.
Le spécialiste déplore l’absence de ce dossier de la plupart des discours politiques, sauf en cas de crise. Il dénonce une mémoire «sélective».
«Nous sommes dans une situation cyclique. Pendant un court temps, l’été, on touche la sècheresse, mais à partir de septembre ou octobre, quand on touche pour la précipitation, on oublie tout.»
Néanmoins, plusieurs projets de recherche explorent des innovations pour améliorer la gestion de l’eau. «On a des technologies de l’IA [intelligence artificielle] qui peuvent par exemple prédire où on va voir les prochaines chutes d’eau», appuie Soula Chronopoulos.
Autant de techniques qui pourront aider à résoudre ce qu’elle qualifie de crise majeure : «L’eau va être le combat de nos vies.»