Tous les printemps, mes parents achetaient des petits poussins pour faire l’élevage des poules. Celles-ci nous fournissaient les œufs et la viande. Une année, les poussins sont arrivés trop tôt, il faisait bien trop froid pour les mettre dans le poulailler. Ils n’auraient jamais survécu. Ils ont grandement besoin de chaleur à ce stage de leur vie. Alors, mes parents ont décidé de les garder dans la maison.
Ma mère a étendu des papiers journaux sur le plancher dans la cuisine, près du poêle à bois. Puis elle a placé des boites de carton pour faire une sorte d’enclos. Les poussins étaient tellement petits et mignons… Il était bien défendu de les toucher. Nous, les enfants, étions très heureux d’avoir ces beaux petits poussins dans la maison.
Le soir venu, voici que c’était moins drôle. Le piaillement des poussins nous empêchait de dormir. Ce que ça peut faire du bruit, une trentaine de petits poussins dépaysés !!
Une vraie cacophonie !!
Au bout de quelques jours, la température a réchauffé et les poussins étaient un peu plus forts. Ils ont pu être déménagés dans leur demeure permanente. Plus tard, à l’été, les poussins sont passés au stage de poulets. À ce moment, on laissait la porte du poulailler ouverte et les poules pouvaient se promener à leur guise partout dans la cour. Quand les poules sont libres comme cela, elles laissent de petits tas ici et là. Il faut faire attention où on met les pieds.
Je ne me souviens pas trop à quel âge les poules commençaient à pondre. Elles nous fournissaient tous les œufs nécessaires à la famille.
Quand nous en avions un surplus, nous les vendions 20 ¢ la douzaine à nos voisins ou au village. Je dois te dire que les voisins n’habitaient pas tout près comme ceux de St-Constant ou North Bay. Le premier voisin pouvait être à plus d’un kilomètre de chez nous.
Souvent, le samedi soir, mon père tuait une poule pour notre repas du dimanche. J’aimais mieux ne pas regarder, ça me faisait mal au cœur. Il mettait la tête de la poule sur une buche de bois et lui coupait le cou avec une hache. Pas très beau spectacle !! Puis, il fallait lui enlever ses plumes et la vider. Ça non plus, ce n’était pas très appétissant.
Les poules se couchent très tôt. On dirait qu’elles savent l’heure. Je suppose qu’elles se guident sur le soleil. Connais-tu l’expression « se coucher à l’heure des poules » ? Ça veut dire aller au lit tôt. Elles doivent se jucher pour dormir. Dans le poulailler, il y a un juchoir. Ce sont des petites planches installées à deux ou trois pieds du plancher. Les poules grimpent et s’y installent pour dormir.
La vie sur une ferme était bien différente de celle que tu connais aujourd’hui.
Au début de l’été 1948, j’avais 11 ans. J’ai remarqué que ma mère était enceinte. C’était un sujet dont on ne parlait pas… mais j’ai osé demander à maman quand notre nouveau petit bébé allait arriver. « Pendant les vacances », a‐t‐elle répondu. J’avais tellement hâte ! Le 1er juillet, pas de bébé… le 5 juillet, pas encore de bébé… le 24… pas encore. C’était tout à fait décourageant pour une enfant de 11 ans !
Je remarquais que maman avait de plus en plus de difficulté à marcher, qu’elle devenait de plus en plus grosse. Finalement, le 15 aout au soir, tout le monde se couche comme d’ordinaire. Mais en plein milieu de la nuit, mon père réveille tous les enfants et annonce que nous allons chez grand‐maman. On se rend à pied chez elle (une marche d’environ 10 minutes). En arrivant, papa lui dit : « Ça fait plusieurs fois que vous nous invitez à coucher chez vous, alors on a décidé de venir ce soir… »
Mon oncle est allé chercher le médecin à Hearst. Dans ce temps‐là, il arrivait souvent que le médecin allait à la maison de la patiente pour faire les accouchements à domicile. Une de mes tantes assistait le médecin comme sage‐femme. Elle n’avait jamais fait aucune étude dans ce domaine, mais ses connaissances lui venaient de la pratique.
Quand nos sommes revenus de chez Grand‐Maman, le lendemain matin, il y avait un beau petit bébé tout neuf à la maison. Ma mère voulait le faire appeler « Isidore » parce que c’est le nom du patron des cultivateurs. Je n’aimais pas du tout ce nom… mais devine qui a gagné !
J’étais la plus vieille, Isidore était le bébé, alors je l’ai gâté un peu. On n’avait pas de carrosse, mais il aimait beaucoup se faire promener dans la petite voiture. Je lui ai montré à attraper une balle. Il aimait beaucoup jouer à cache‐cache, il y avait bien des places à se cacher sur la ferme.
Aujourd’hui, notre petit bébé a passé la soixantaine…
Tu t’en repentirais !
Sais‐tu ce que c’est une paillasse ? C’est la sorte de matelas que nous utilisions dans ma famille quand j’étais toute jeune. Ma mère cousait un grand sac de la grandeur du lit pour lequel elle voulait un matelas. Elle avait soin d’y laisser une ouverture. Elle remplissait ce sac de paille séchée pour en faire un matelas, puis elle cousait l’ouverture. Elle faisait la même chose, mais en plus petit, pour les oreillers.
Veux‐tu savoir si ce genre de matelas était confortable ? Mais pas du tout… surtout les premières semaines. Il fallait du temps pour que la paille se place et prenne la forme voulue. En plus, c’était bruyant. Chaque fois qu’on bougeait un orteil, ça faisait du bruit. Mais ce n’est pas le pire : il arrivait que la paille passe à travers du coton et nous pique le corps… Je me souviens d’avoir porté une blouse à manches longues pour me protéger pendant que je dormais.
Ma mère utilisait des poches vides de sucre ou de farine pour faire le grand sac pour les matelas et les petits sacs pour les oreillers. Elle avait toutes sortes de trucs pour économiser. Elle n’avait pas le choix.
Quand arrivait le printemps, ma mère faisait ce qu’elle appelait le grand ménage. Elle vidait les paillasses, les lavait et les remplissait de nouveau avec de la paille fraiche…
Je me souviens d’une histoire qu’une voisine nous racontait : il y avait une souris dans la paille avec laquelle elle avait rempli sa paillasse. Tout le monde dans sa famille entendait crier la pauvre souris, mais ils ont mis beaucoup de temps avant de la trouver. Est‐ce que c’est une histoire vraie ? Je ne le sais vraiment pas.
Pendant un de mes voyages pour distribuer des lunettes usagées aux pauvres, nous étions logés dans un genre de maison de retraite. Les matelas étaient des paillasses. Les souvenirs sont revenus ; j’avais oublié comment le tout pouvait être piquant, bruyant et pas du tout confortable.
Maintenant, tu sais ce que c’est une paillasse. Je ne te conseille pas de l’essayer… Tu t’en repentirais !
Il faut te dire pourquoi je suis entrée au couvent. Dans notre petit village du Lac Ste-Thérèse, il n’y avait pas d’école secondaire, c’est-à-dire qu’il fallait aller à l’extérieur si on voulait continuer nos études après la 8e année. Il y avait dans la ville voisine (Hearst) une école secondaire publique, mais mes parents ne voulaient pas qu’on y aille parce que c’était une école protestante. Pour eux qui étaient très religieux, aller à une école protestante constituait un péché grave (sans farces…).
Mes parents valorisaient beaucoup l’éducation. Mon père savait à peine lire et ma mère avait dû quitter l’école après sa 5e année pour aider sa mère qui avait une grosse famille. Je rêvais de continuer à étudier. Il y avait un petit couvent à Moonbeam (environ 150 kilomètres de chez nous) qui prenait seulement dix pensionnaires. Ce pensionnat était géré par des Soeurs Grises de la Croix. C’est à cet endroit que j’ai fait ma 10e année. Pour ma 11e année, mes parents ont décidé de me laisser aller au couvent de la rue Rideau à Ottawa. Je devais voyager par train. Ça prenait 24 heures de Hearst à Ottawa par train. On devait arrêter à tous les villages pour embarquer ou débarquer des passagers.
Au cours de ma 11e année, j’ai décidé de devenir religieuse. Les Soeurs Grises de la Croix oeuvraient dans plusieurs domaines : il y avait des enseignantes, des infirmières, des missionnaires ; il y avait des postes pour satisfaire tous les gouts. J’étais attirée par l’enseignement. Pour réaliser mon rêve, il fallait finir la 12e année et faire un an d’école normale. (Les exigences ont beaucoup changé depuis.)
J’ai pensé que si j’entrais au couvent après ma 11e année, les religieuses se chargeraient de ma formation d’enseignante. De cette façon, mes parents n’auraient pas à payer pour les deux années d’études qu’il me restait. Cela laisserait un peu plus d’argent pour mes frères et soeurs qui me suivaient. (Il y en avait sept après moi.)
J’avais 16 ans. Tu vois, dans le petit village du Lac Ste-Thérèse (22 familles), il n’y avait pas de choix d’emploi ou de carrière. Les filles de mon âge allaient travailler dans des maisons privées pour aider les femmes qui venaient d’accoucher. Dans ce temps-là, les naissances avaient pratiquement toutes lieu à la maison. La jeune fille rencontrait éventuellement un prétendant qui travaillait soit sur une ferme ou dans l’industrie de bois. Le couple se mariait et produisait plusieurs enfants. C’était un peu le patron du temps. Quelle chance de n’être pas tombée dans ce moule !
Maintenant, quand je regarde en arrière, il semble que 16 ans c’était un peu jeune pour prendre la décision d’entrer au couvent. Heureusement que le tout était réversible. Jusqu’à ce jour, je ne regrette pas du tout d’être entrée au couvent… et je regrette encore bien moins d’en être sortie.
Mes parents, bien que pauvres, étaient d’une très grande générosité. Ils n’hésitaient jamais à rendre service, à aider un voisin dans le besoin ou à faire des dons à l’Église.
Il y avait, dans notre voisinage, un bon vieux monsieur qui vivait dans une petite cabane loin du magasin. Une fois par semaine, il devait aller au village pour faire ses provisions et aller chercher son courrier. Ce voyage lui prenait toute une journée, car il marchait très, très lentement. Il s’appuyait sur un bâton, d’où lui vient le nom de M. Bâton. Je crois que je n’ai jamais su son vrai nom.
Nous avions sur notre ferme, près de la maison, une cabane qui avait déjà servi de poulailler, mais qui était devenue par la suite un hangar. On l’appelait la shed. Mes parents ont offert à M. Bâton d’y déménager. Ils ont fait un grand ménage, installé une fournaise à bois et peinturé le plancher. Ils ont installé près du poêle une paillasse sur un sommier qui reposait sur des buches.
M. Bâton se trouvait plus près du magasin, mais il y avait un autre détail encore plus avantageux pour lui : nous, les enfants, pouvions faire ses commissions au village… Mon père lui fournissait le bois de chauffage, ma mère nous envoyait lui porter un bol de soupe, du ragout ou des galettes. Bien que nous étions pauvres, nous n’avons jamais manqué de nourriture. Les animaux de la ferme nous fournissaient une bonne variété de viande ainsi que du lait, du beurre, de la crème, des œufs… Nous avions les légumes et patates du jardin, des fruits en conserves.
Je ne le réalisais pas quand j’étais jeune, mais maintenant je sais que mes parents étaient des piliers de la communauté.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’adore la lecture. Dès mon très jeune âge, je ne manquais jamais une chance de lire tout ce qui me tombait sous la main… ou sous les yeux.
Au risque de me répéter, il faut te dire que mes parents étaient bien pauvres. Nous avions dans notre maison deux livres que je lisais et relisais tous les dimanches après-midi. Il y avait un catéchisme en images. La page du ciel avec les anges qui chantaient la gloire de Dieu était bien fascinante pour nos jeunes yeux. Mais il en était bien autrement quant à la page de l’enfer : des démons dans les flammes avec des grandes fourches qui piquaient les pauvres âmes qui devaient y souffrir éternellement. Il ne fallait pas rester trop longtemps sur cette page, car cela provoquait chez moi une peur et des cauchemars pas rassurants du tout.
Mon père, aidé de mes oncles, a bâti notre maison en billots équarris. Le tout était calfeutré d’étoupe qui agissait d’agent isolant. On y mélangeait un peu de goudron dans le but de décourager les insectes et petits animaux d’entrer et de s’installer en permanence. Ma mère avait tapissé les murs intérieurs avec des boites de carton aplaties pour conserver davantage la chaleur du poêle à bois.
Mes frères, Paul et Bruno, aimaient beaucoup me taquiner. « Les filles, ça peur de tout… elles ont peur du vent, des couleuvres, de la noirceur… de tout, tout. » Je me défendais tant bien que mal, disant que je n’avais peur de rien, y compris mes frères. Cette conversation avait eu lieu pendant le diner. Quelque temps après, ma mère me demande d’aller en haut pour chercher un oreiller qu’elle voulait réparer.
Mais voici qu’en arrivant en haut, j’aperçois une souris qui est allée se cacher derrière le carton sur le mur. J’ai crié tellement fort !!!! Et j’ai descendu les escaliers à la course. En arrivant dans la cuisine, j’ai perdu connaissance, étendue par terre. Ma mère se demandait bien ce qui se passait, mais je ne pouvais pas l’expliquer !
Finalement, après quelques débarbouillettes d’eau froide sur le front, je suis revenue tranquillement et j’ai pu raconter mon aventure. Mes frères ont bien profité de l’occasion pour me taquiner davantage. Mon vocabulaire s’est enrichi : c’est à ce moment que j’ai appris l’expression « perdre connaissance ».
J’ai été des mois sans vouloir aller en haut toute seule. Ma peur des souris est disparue, mais je ne les aime pas du tout… J’en ai dédain.
Mes parents étaient très pauvres et devaient être bien débrouillards. C’est surtout dans le temps des Fêtes qu’il fallait faire preuve d’ingéniosité. Je vais te raconter ce qu’ils faisaient.
Quelques semaines avant Noël, voici que nos jouets disparaissaient. Les garçons cherchaient leurs camions en bois. Les filles ne trouvaient plus leurs poupées. Quand on se plaignait à ma mère, elle répondait : « Vous devriez prendre mieux soin de vos jouets et les ranger. »
La nuit de Noël, nos poupées revenaient avec des vêtements tout neufs, des vêtements confectionnés à la main, à la lueur de la lampe à l’huile. (Tu sais, la lampe à l’huile qui est sur le foyer au chalet ? C’est cette lampe.) Ma mère dit qu’elle s’installait sur la tablette du fourneau du poêle à bois. Elle gardait tout près d’elle une grande couverture pour cacher son travail au cas où un des enfants se lèverait. Plus d’une fois, elle a confectionné une robe pour ma poupée avec des retailles de tissu qui restaient d’un morceau avec lequel elle avait fait une robe pour moi. Imaginez la patience que ça prenait pour faire tout cela à la main !!
Mon père se cachait dans la grange pour donner une nouvelle couche de peinture sur les camions des garçons. C’était des camions qu’il avait confectionnés lui-même. Les roues étaient des rouleaux vides de fil, les lumières étaient des boutons. Parfois, il ajoutait un détail pour changer un peu l’apparence du camion… et le tour était joué !
La veille de Noël, la coutume voulait qu’on pende nos bas de laine près du poêle à bois. Le lendemain matin, on y retrouvait une pomme et une orange ainsi qu’une poignée de bonbons durs. Les fruits frais étaient très rares chez nous. On avait des oranges seulement à Noël et quand on était malade… Des fois, ça nous tentait de faire semblant d’être malades seulement pour avoir des oranges. On achetait des bananes quelques fois durant l’été. Tout un évènement ! On mangeait tout, on grattait même le dedans de la pelure. Sans farces !
Quand j’eus atteint l’âge de 7 ou 8 ans, j’allais à la messe de minuit habituellement avec mon père parce que ma mère devait garder ceux qui étaient trop petits pour sortir la nuit. Notre moyen de transport : une voiture tirée par la Grise. Arrivé à destination, Papa attachait le cheval à un gros poteau, près de l’église. Une fois, le cheval était parti. Mon père pense que c’est un copain qui lui a joué un tour, il a retrouvé la Grise derrière le magasin général en face de l’église.
Le temps des Fêtes durait de Noël jusqu’au 7 janvier, la fête des Rois. On décorait notre arbre de Noël seulement le 24 décembre. On avait des repas de famille avec les frères et les sœurs de ma mère avec leur famille… Chaque famille recevait la gang à tour de rôle. Le jour des Rois, l’hôtesse faisait deux gâteaux dans lesquels elle cachait une fève : un gâteau pour les femmes et un pour les hommes. Celui et celle qui trouvaient la fève dans son morceau de gâteau étaient couronné(e)s roi ou reine. Je crois que cette tradition est maintenant disparue.