le Dimanche 26 janvier 2025

À noter : la majeure partie des faits historiques utilisés dans ce récit sur le travail du bucheron provient du texte de Ian Radford «Woodworkers of the Pulpwood Logging Industry of Northern Ontario», La Société historique du Canada, Volume 17, Numéro 1, 1982. Je note que chaque compagnie de bois avait aussi certaines procédures individuelles. 

La journée du bucheron commence habituellement avant la levée du soleil. Le déjeuner est suivi d’une longue marche à partir du dortoir (bunkhouse) jusqu’au site de la coupe du bois. Le chef des bandelettes de bois (strip boss) alloue à chaque bucheron une bandelette (strip) d’environ 66 par 660 pieds. Le bucheron doit premièrement se faire un sentier au milieu de la bandelette, nettoyer les sous-bois et enlever les branches, les arbres morts et tout autre matériau qui pourraient nuire au débusquage des billots. Il planifie ensuite sa coupe pour s’assurer que les arbres tomberont de manière à faciliter l’empilage et le débusquage.

Une fois que le bucheron a déterminé où faire tomber l’arbre, il fait une entaille assez profonde dans le tronc avec sa hache, juste au-dessus du sol. Ensuite, avec sa scie à buches (bucksaw) il se met à scier l’autre côté de l’arbre à la hauteur de la coche créée par la hache. Lorsqu’il ne reste qu’un ou deux pouces entre la coche de la hache et le trait de scie, le bucheron doit pousser l’arbre dans la direction de la coche pour le faire tomber dans l’endroit prévu. C’est un travail éreintant. Lorsque l’arbre est tombé, le bucheron procède ensuite à l’ébrancher et le couper en longueurs requises.

Vers la fin de la journée, le bucheron empile ses billots avant qu’ils soient mesurés et débusqués jusqu’au bord du chemin. Un sondage effectué en 1941 démontre que l’empilage du bois était le travail le plus difficile pour le bucheron. Ce travail était rendu encore plus difficile par les pluies d’automne, les marécages, la température et la bise du nord-ouest. Si le bucheron se mettait à suer dans une température très froide, il ne pouvait pas se reposer de peur de geler. En hiver, la neige épaisse traversait souvent les vêtements et le froid ralentissait son travail.

La coupe de bois était aussi dangereuse. Les bucherons manipulaient des outils de coupe tranchants avec leurs mains, souvent en se tenant debout sur un sol gelé. Peu de bucherons portaient des vêtements protecteurs parce que ça les ralentissait. Plusieurs bucherons ont subi de graves blessures causées par des arbres qui tombaient. L’industrie forestière avait le plus haut taux d’accidents de toutes les industries en Ontario. Ainsi, les employeurs payaient le plus haut taux de compensation dans la province.

Pour plusieurs, le travail du bucheron avait un attrait spécial qui amenait certains hommes à travailler incroyablement fort et même à risquer leur santé. Il n’y a pas de doute que l’esprit « machismo » faisait partie de l’image du bucheron et certains aimaient le travail difficile et dangereux. Pour d’autres, la vie de bucheron représentait un rapprochement avec la nature. Pour la plupart, cependant, la coupe de bois leur permettait de faire un bon montant d’argent pour quelques mois de travail en hiver.

La variété du travail, comparée au travail monotone dans les manufactures, était aussi attirante. Il y avait un rythme saisonnier au travail. La coupe de bois se faisait en automne jusqu’au Nouvel An, le charriage du bois commençait avec les premières neiges, et au printemps on faisait souvent la drave sur les lacs et les rivières.

Le travail du bucheron exigeait une adaptation constante aux conditions de l’environnement. Chaque bandelette présentait des défis singuliers. Les meilleurs bucherons planifiaient leur coupe, analysant où le bois devait tomber pour faciliter l’ébranchage, le débitage et le pilage de billots. Le bucheron devait aussi considérer les troncs d’arbres courbés, les résidus de feux de forêt antérieurs, la cime inégale des arbres, les vents violents… De même, le meneur de chevaux qui transportaient les billots devait prendre les meilleurs sentiers, gérer les côtes et les marécages, évaluer constamment la pesanteur de la charge de billots selon les conditions du terrain, savoir quand les chevaux avaient besoin de repos… Plusieurs bucherons venaient de la campagne avec peu d’éducation, mais ils savaient utiliser les connaissances et habiletés apprises lors de la coupe d’arbres sur les fermes.

Le bucheron avait aussi beaucoup d’indépendance au travail. Il passait une grande partie de la journée à travailler dans sa propre bandelette, isolé des autres. Le contremaitre n’avait pas le temps de visiter tous les bucherons. D’ailleurs, le bucheron était évalué selon le produit de son travail, c’est-à-dire le nombre de billots empilés à la fin de la journée. Le bucheron organisait par lui-même la coupe et tout le travail à faire dans sa bandelette.

Les employeurs avaient tendance à donner les meilleures bandelettes aux bucherons qui produisaient le plus, dans le but de maximiser la productivité. Ceci explique pourquoi 80 % du bois a été coupé par 20 % des bucherons de la compagnie Abitibi dans le district du Sault. Les salaires étaient semblables partout dans l’industrie, et c’était accepté que les meilleurs bucherons étaient forts, efficaces et gagnaient de très bons salaires.

Photo : Circa 1930 – Bûcheron Ivor Friske près de sa pile de bois – photo de la famille Nevala – Albums Alan Jansson – provient de Écomuséee de Hearst

Vivant en campagne dans les années 30, avec de grosses familles, des parents qui travaillent à longueur de journée pour survivre, peu de chemins, entourés par la forêt : toutes ces réalités offrent des défis continuels et vous pouvez être certains que Trefflé et Marie-Anna Payeur n’ont pas été épargnés. Après avoir perdu six enfants dans un feu de maison en 1928, et un autre à la maladie dans la même année (Odilon, le plus vieux, était le seul survivant), Marie-Anna et Trefflé ont eu huit autres enfants. L’histoire suivante se passe dans les années 30. Elle est racontée dans le livre Des défricheurs parmi tant d’autres… mes parents, de Marie-Paule Payeur-Gosselin.

« Ce matin-là, on décide d’aller ramasser des framboises. M. Picard, qui demeurait dans le camp à Pépère, nous avait dit qu’il y avait beaucoup de framboises pas loin du camp. Maman nous prépare un gouter et puis nous partons, René, Joseph, Marie-Laure, Marie-Paule, Émile et Léo. Les deux autres, Fernand et Rosaire, trop jeunes, sont restés à la maison. C’était entendu qu’on reviendrait pour le souper. On arrive là-bas, on dit quelques mots au monsieur pour ensuite se diriger vers les framboises. S’il y en avait déjà eu, elles étaient tombées parce qu’il y en avait presque plus. On en ramasse un peu, puis, comme il n’y en avait pas, René et Joseph se mettent à nous raconter que l’hiver précédent, grand-père leur avait montré à étendre des collets à lièvres. Les collets étaient restés sur place, ils pensaient les retrouver. En s’éloignant dans les vieux buchers, on ramassait des cocottes. Sans nous en rendre compte, nous nous éloignions toujours et quand nous avons décidé de retourner à la maison, nous avons réalisé soudain que nous étions égarés. Marche, marche, on arrive à la rivière. Cela aurait été un indice : la descendre. On ne se souvenait plus de rien. En désespoir de cause, Joe grimpa dans les arbres pour vérifier si on ne verrait pas la maison. René nous gardait courageux. Il avait sur lui un chapelet. Je me souviens, on s’agenouillait au pied d’un arbre, et on disait le chapelet. Il promettait que si on se retrouvait assez de bonne heure, on irait aux quarante heures. On continuait à marcher. La faim nous tenaillait. Puis on ne retrouvait toujours pas notre chemin, mais on demeurait ensemble. Émile et Léo étaient fatigués de marcher, donc René et Joseph les portaient sur leurs épaules, ou les tenaient l’un par les pieds et l’autre la tête. Tout ce temps-là, René nous encourageait en nous disant : “ Si on ne parvient pas à se retrouver, papa en arrivant de son travail, va venir nous chercher. ” Il nous gardait au beau fixe. Personne ne pleurait, mais nous étions très fatigués, épuisés, surtout les deux plus jeunes. On avait faim et soif et un peu peur des bêtes sauvages. Mais René et Joseph étaient toujours là pour nous remonter le moral. Marie-Laure avait perdu ses chaussures et avait les jambes et les pieds égratignés. Puis la noirceur survint, plus moyen de marcher. On trébuchait, on tombait. René nous dit : “ Je vais arracher des branches de sapin et on va se faire un lit puis on va se coucher tranquille et je vous garantis que papa va venir nous chercher. ” Il installe le lit, on se couche, il y avait de la mouche. Puis tout à coup, voilà la pluie qui commence à tomber. Il n’en fallait pas plus : on éclate en sanglots. On ne savait pas l’heure, on n’entendait rien, on trouvait que papa tardait.

À la maison, maman était très inquiète. Elle avait fait le train pour que papa puisse venir au plus vite à notre secours. Arrivé à la maison et mis au courant, tout de suite, il s’empresse de monter au camp et s’informe à M. Picard, qui lui dit que oui, il nous avait vus le matin, mais pas par la suite. Très inquiet, il se dirige vers la maison la plus proche. Il y avait là, en plus de la famille, deux hommes qui prenaient un coup. Mon père leur raconte ce qui se passe et leur demande d’aller chercher du secours. Après bien des heures d’attente, à la noirceur, tout à coup, très loin, à peine perceptible, on entend la voix de notre père. Quel soulagement ! La première chose qu’il nous a demandée c’est : “Êtes-vous ensemble ? ” Pour lui, sa grande peur était qu’on s’éparpille. Très heureux de nous savoir tous ensemble, il nous dit : “ Ne bougez pas, de temps à autre je vais crier, je marche sur votre voix. ”

Petit à petit sa voix se faisait de plus en plus proche, il se dirigeait sur nous avec sa lampe de poche. Arrivé à nous, on pouvait lire sur son visage l’inquiétude, la fatigue et la joie de nous retrouver. Le curé de notre paroisse, l’abbé Bissonnette, l’accompagnait. Il s’est empressé de crier. Cela n’a pas été trop long que tous les hommes sont arrivés, nous ont pris sur leurs épaules et nous ont sortis du bois. Plein d’autos nous attendaient au chemin pour nous ramener chez nous. Nous étions à cinq milles dans la forêt. Environ deux-cents personnes étaient venues à notre recherche. On est arrivés à minuit, où nous attendait une table bien garnie avec de la soupe chaude que maman, triste et inquiète, aidée de ses voisines, avait préparée. Après le départ des gens, papa a pris du vin, l’a fait chauffer et nous en a tous donné un peu pour nous empêcher, qu’il disait, d’avoir la grippe. On s’est endormis épuisés, mais contents d’être dans notre lit. Le lendemain matin, on avait mal partout, mais rien de plus.

Il faut que je vous dise que les années suivantes, c’était bien défendu aux enfants d’aller seuls aux fruitages. »

Si vous n’avez pas eu la chance de lire le livre de Marie-Paule Payeur-Gosselin  Des défricheurs parmi tant d’autres… mes parents  des Éditions Cantinales, je vous invite à ne pas le manquer.

Crédit photo : La photo provient du livre : Des défricheurs parmi tant d’autres… mes parents de Marie-Paule Payeur-Gosselin, Éditions Cantinales, 2008, pages 57-58

Lors de la construction du National Transcontinental, la commission a désigné Hearst comme centre divisionnaire. Un train national arrive de l’ouest et, ensuite, un autre arrive de l’est. Les engins à vapeur embarquent sur la rotonde ferroviaire qu’on tourne à 180 degrés et deux jours plus tard reprennent la route. L’engin de l’est retourne vers l’est avec les wagons qui viennent de l’ouest et l’engin de l’ouest retourne vers l’ouest avec les wagons qui viennent de l’est. Cela veut dire que les passagers doivent passer deux jours à Hearst en attendant le train. Ceux qui peuvent se le permettre louent une chambre à l’hôtel et reprennent le train tout bonnement deux jours plus tard. C’est très bon pour l’économie de Hearst. Durant l’été, cependant, il n’y a pas seulement les wagons de passagers qui transportent des voyageurs. Le train est rempli de clochards (hobos) et de personnes sans travail qui se déplacent vers l’ouest pour se trouver de l’ouvrage durant le temps des récoltes, ou tout simplement pour voir le pays. Il s’agit bien sûr de gens qui ne payent pas pour voyager. Il y en a aussi sur l’Algoma Central. La plupart d’entre eux ne peuvent pas se payer une chambre d’hôtel et couchent dehors près du chemin de fer en attendant le prochain train.

C’est ainsi que la région juste à l’ouest de la gare et au sud du chemin de fer devient reconnue comme « la jungle ». Plusieurs clochards sont des personnes qui ont des troubles mentaux, qui fuient les guerres d’Europe, qui sont alcooliques, qui cherchent du travail, etc. Plus tard, on y retrouve aussi des gens de la population itinérante de Hearst, des bucherons qui ont dépensé tout leur argent et qui attendent la reprise du travail avec les compagnies de bois ou qui, tout simplement, ne trouvent pas d’emploi.

Les policiers de chemins de fer font plusieurs arrestations, mais il est impossible de les arrêter tous. Les gens du village sont en général tolérants, surtout lorsque ces gens viennent cogner à la porte pour de la nourriture ou de l’argent. Plusieurs sont aussi ridiculisés et maltraités.

Avec les années, la sécurité sur les chemins de fer s’améliore et beaucoup moins de personnes peuvent voyager sans payer. En plus, les compagnies de bois s’équipent de mieux en mieux pour traverser les saisons mortes, le travail devient beaucoup plus annuel et la population itinérante est réduite considérablement avec de meilleurs salaires. Vers la fin des années 60, il ne reste que quelques alcooliques locaux qui se réfugient dans « la jungle » avec leurs bouteilles de Kataba et de Baby Duck pour ne pas dire leur vin de pissenlit, de patate, en fait tout ce que dans le temps on appelait des bouteilles de « gouffe ».

Photo : Canva

Il y a quelques mois, j’affichais cet article sur le site Hearstory. J’inclus certaines réponses.

Je me demande s’il y a quelqu’un qui pourrait m’aider. Je fais présentement de la recherche sur deux caractères très originaux des années 50, début 60.

Le premier est un monsieur Leboeuf. Tout le monde l’appelait tout simplement Leboeuf. Un jour, je marchais sur la rue George et voilà M. Leboeuf qui s’en vient à ma rencontre. Il avait de la misère à marcher et, arrivé près de moi, il me regarde avec des yeux gros comme des vingt-cinq cents. Il se prend par la gorge, et tombe à genou avant de s’écrouler sur le dos. Le cœur me battait, j’avais la bouche toute grande ouverte et je regardais tout autour pour de l’aide. Avant même que je puisse me pencher pour voir ce qu’il avait, il s’était relevé avec un gros sourire. Il me fait un clin d’œil et, sans dire un mot, il continue sa marche me laissant bouche bée et le cœur encore battant.

Le deuxième était Ti-Pit Doyon. Il était petit, parlait avec une voix haute et bégayait. On disait que certains le taquinaient constamment (surtout dans les bars) et il avait la réputation de se fâcher très facilement. Généralement, Ti-Pit était très gentil, mais lorsqu’il se fâchait, il n’y avait rien à son épreuve.

Avez-vous connu l’une de ces deux personnes ?

Serge : J’ai rencontré Ti-Pit à un très jeune âge. Il travaillait pour mon père adoptif. Celui-ci m’a raconté des histoires du passé sur lui… Beaucoup de monde a pris avantage de lui. Mon père adoptif était l’un de ceux qui lui ont toujours donné une job.

Bert : Très vrai, il a été abusé.

Denise : Il demeurait à Coppell, au bout de la concession. J’étais très jeune.

Serge : Il avait une maison en entrant sur le chemin Kilick, entre Jogues et Coppell. Il s’est noyé dans la rivière à côté de sa maison.

Serge 2 : Ah, mon Dieu. Quelle histoire triste ! Pauvre Ti-Pit Doyon. Merci à tous pour l’info. Il faut dire que notre héritage ne contient pas seulement de belles histoires. Il faut aussi reconnaitre que ce n’était pas toujours facile de vivre comme pionniers. Il y a bien des gens comme Ti-Pit Doyon qui ont payé cher pendant ces années difficiles et qui n’ont pas eu le soutien nécessaire pour passer à travers.

Bert : Il venait voir mon père.

Ginette : J’ai souvent entendu ce nom de mon père qui travaillait avec et était ami avec son boss.

Mireille : Pas grand, pas beau, pas trop futé, mais travaillant. Il se méfiait du monde en général. Voici ce que j’ai pu confirmer : Ti-Pit Doyon habitait à Coppell, au coin de la concession à Killick. Un jour de printemps alors que la rivière Obijou était haute et le courant vif, Ti-Pit décide d’aller à la pêche et il invite le plus jeune des enfants des voisins. Les parents ne sont pas trop d’accord. Le jeune qui a 14 ans saute quand même dans le bateau. Un moment donné, Ti-Pit fait une fausse manœuvre, le canot chavire et les deux pêcheurs sont plongés dans l’eau glacée. Le chien de la famille, qui suit le bateau de la rive, saute à l’eau et sauve l’enfant qui se cramponne à son cou. Ti-Pit est mort noyé. Ce tragique accident est survenu au printemps 1988.

Louise : Moi, je me souviens de M. Leboeuf. Quand j’étais jeune, il s’approchait de moi et il enlevait ses dentiers. Omg que j’avais peur ! Après ça, il les remettait dans sa bouche et partait à rire et moi aussi.

Louise 2 : M. Leboeuf venait chez nous et nous apportait des cents noires.

Jean-Marc : Jean-Marc Leboeuf travaillait pour le CN. Deux de ses fils sont des amis avec qui j’ai grandi. Ils ont aussi un frère plus vieux. M. Leboeuf aimait bien ses enfants et nous accueillait toujours comme des rois lorsqu’on allait chez eux.

Céline : D’accord avec toi… M. Leboeuf demeurait à Hallébourg.

Bud (traduction) : Je me souviens bien de Ti-Pit Doyon qui était un bon ami. Je travaillais souvent sur son pickup Ford lorsque nous avions la succursale avant Lecours Motors. Ses freins ne fonctionnaient jamais et il s’arrêtait toujours sur le mur au fond du garage. Je ne lui ai jamais chargé pour le travail sur son auto. En hiver, il passait souvent la nuit dans le garage. J’ai plusieurs bons souvenirs de lui. Le pauvre type s’est noyé en retournant chez lui lorsque sa voiture s’est renversée dans le ruisseau. Très triste.

Michel : Oui, moi je les ai bien connus, surtout M. Leboeuf. Il venait chez mes parents pour acheter du pain, du lait et de la crème. Il travaillait sur le chemin de fer et il arrêtait son p’tit poute-poute sur la track pendant qu’il achetait ses produits dans la maison.

Linda : M. Leboeuf m’a fait le même coup que toi pendant que je travaillais chez Nic’s Deli. Je garde de bons souvenirs de lui… Il était un excellent comédien !

Bruno : J’ai connu Ti-Pit Doyon, et j’ai aussi connu M. Leboeuf. Un drôle de numéro.

Marc : Oh que M. Leboeuf aimait la comédie, et même je dirais qu’il adorait rendre les autres inconfortables autour de lui pour ensuite s’éclater de rire. Un personnage très coloré.

Je sais que dans les années 50, Hearst avait une population itinérante de bucherons qui surpassaient la population locale de beaucoup. Je sais aussi que cette population itinérante passait son temps libre et dépensait son argent à Hearst. Je sais qu’en plus des nombreux hôtels avec bars qui devaient fermer les portes à une heure du matin, il y avait aussi de nombreuses maisons de chambres et pensions ainsi que des bootleggers à tous les coins de rue. On entendait aussi parler de « maisons de prostitution ». On racontait que les autorités fermaient souvent les yeux devant certains abus puisque les retombées financières étaient formidables.

L’article du Petit Journal de Montréal ci-dessous, cependant, dont je cite des extraits, dépasse de beaucoup tout ce que je pouvais m’imaginer de la vie nocturne du village. Je crois que cette histoire est basée sur des faits réels, mais je crois aussi que l’imagination et l’enthousiasme de la personne qui raconte son aventure contient tout ce dont on a besoin pour en faire un film extraordinaire : la peur, la noirceur, l’abus de pouvoir, la cruauté, la poursuite, l’évasion, la vitesse, la tension, la corruption, l’espoir d’une vie meilleure, l’incertitude, la mère et l’enfant, le danger et l’inconnu. Pour ce qui est de la comédie, eh bien, je vous assure que l’utilisation du passé antérieur vous fera sourire.

Voici l’article du 23 octobre 1955, page 36.

« Au mois d’octobre 1955, une représentante d’un groupe de quatre Montréalais donne une entrevue au journaliste du Petit Journal de Montréal.

(La représentante) nous a déclaré que Claudette S., une jeune mère célibataire avait été approchée par une personne de Montréal lui proposant “une bonne job, ben payante”. La jeune femme, heureuse, accepte sans demander trop de détails quant à la nature de cet emploi qui la forçait à déménager en Ontario. Claudette était la mère d’un petit garçon de deux ans dont la garde a été confiée à une dame de la Métropole.

Elle quitta Montréal, croyant qu’on lui offrait un emploi honnête. Entretemps, ayant besoin de son témoignage dans un important procès, nous avons fait des démarches en vue de retrouver son adresse. Elle se trouvait à Hearst, près de Cochrane en Ontario. Sans plus attendre, nous nous rendîmes à ce village. Nous étions trois, plus le chauffeur. Il était 2 h du matin quand notre auto arriva à Hearst. Un chauffeur de taxi nous renseigna où se trouvait la rue George. Toutes les rues étaient désertes. La maison qui portait le numéro que nous cherchions était illuminée. À travers une fenêtre, nous avons pu voir des jeunes femmes. M. Bombardier reconnut Claudette S. avec une compagne. Il alla frapper à la porte. Deux hommes vinrent ouvrir. À l’intérieur se trouvaient trois jeunes filles qui ne semblaient pas avoir plus de 20 ans.

“Nous voudrions parler à Claudette S.,” dit M. Bombardier. “Il n’y a pas de Claudette ici,” répondit l’homme sur un ton glacial. “Mais…”, protesta notre chauffeur. Et au même moment, la même jeune fille, entendant prononcer son (vrai) nom, regarda par la porte entrouverte. Un instant plus tard, cette même porte se referma et le second individu répéta la même phrase : “Il n’y a pas de Claudette ici… on vous dit.” Il poussa les deux visiteurs dehors en leur claquant la porte au nez.

Nous avons vu que l’alarme était donnée dans la maison. Notre chauffeur préféra partir. Après avoir fait une centaine de pieds, nous avons dû nous arrêter pour faire le plein d’essence. Pendant que nous étions immobilisés sur le terrain du garage, des hommes montaient dans deux taxis. Ils nous regardaient. L’un d’eux cria “watch out !” Sans attendre que le réservoir d’essence soit plein, nous avons pris la fuite. Les deux automobiles se sont mises à nous suivre à une vitesse infernale à travers les rues du village. À plusieurs reprises, nous avons fait le tour des mêmes pâtés de maisons cherchant à nous cacher. Ayant découvert un endroit discret près du presbytère, notre chauffeur arrêta l’auto et éteignit les phares. Nous avions décidé d’attendre la clarté pour aller demander de l’aide. Vers cinq heures du matin, nous nous rendions dans une bâtisse ou une religieuse voulut nous prêter son téléphone. Nous avons téléphoné à la Police provinciale de l’Ontario pour demander de la protection. On nous a rétorqué de nous adresser à la Police de Montréal. Aussitôt, nous avons téléphoné à la police fédérale à Montréal qui nous apprit que l’affaire n’était pas de son ressort. Il valait mieux, nous a-t-on dit, de revenir au plus vite possible à Montréal en se mêlant à la circulation.

Vers les 6 h du matin, alors qu’il faisait clair, nous avons décidé de tenter notre chance. Discrètement, nous nous rendîmes à un garage pour faire le plein d’essence qu’on nous avait empêchés de faire durant la nuit. Notre aventure ne se termina pas là. Une auto nous avait suivis. À l’intérieur, nous vîmes le même homme qui, lors de notre visite, avait ouvert la porte de la maison. La poursuite reprit, plus rapide celle-là que la précédente. Nous nous engageâmes sur la route de Kapuskasing. Les 50 milles qui séparent le village de cette ville furent faits à 100 milles à l’heure. À un moment donné, la voiture qui nous suivait nous dépassa. L’homme voulut sans doute examiner le visage des passagers de notre auto. Il essaya de faire perdre la maitrise du volant à notre chauffeur. M. Bombardier eut la présence d’esprit de s’engouffrer dans une autre route et, augmentant la vitesse de son auto, arriva à semer les individus.

Avertie, la police municipale fit une enquête à Montréal afin de découvrir l’identité des prétendus tenanciers de la maison de débauche. Suivant le numéro des plaques d’enregistrement qu’on leur avait remises, il a été facile de retrouver le nom du propriétaire qui a, notons-le, un casier chargé. Son passé dévoile qu’il a déjà eu de nombreux démêlés avec la justice au sujet de la prostitution. À la suite d’une sérieuse enquête, nos policiers découvrirent même le nom des autres jeunes femmes qui seraient dans la même maison de débauche, à Hearst.

Claudette et ses amies ont-elles été emmenées de force en Ontario ? Ses amies de Montréal disent “oui”. La police municipale, “peut-être ?” Et la police de l’Ontario préfère croire qu’elles s’y sont rendues volontairement. »

Photo : Canva

Combien se souviennent du gymnase de l’école secondaire de Hearst dans les années 50 ? De nombreuses personnes se sont amusées dans ce gymnase ! Je me rappelle d’y avoir appris à jouer au ballon-panier. Avec un plafond d’une douzaine de pieds de hauteur, on ne pouvait pas avoir des paniers à la hauteur règlementaire de 10 pieds. Les nôtres étaient de neuf pieds. Il fallait développer un lancer sans lui donner de la hauteur parce qu’on frappait le plafond à chaque fois. Il fallait presque lancer le ballon comme une balle de fusil. Mais nous avions tout de même beaucoup de plaisir. Moi, j’avais mes héros au ballon-panier quand je suis arrivé en 9e année. Je me rappelle bien de Annie Horchak, Lionel Levasseur, Gaston Grondin, Jane Ard, Mary Horchak, Emmanuel Joanis, Ronald Levesque, Harold Geno. Gaston Grondin fut le premier à mettre le ballon directement dans le panier (dunking) lors d’une partie entre une équipe du secondaire et les ex-highs ! On ne sautait pas haut dans le temps… imaginez le désavantage qu’on avait lorsqu’on allait jouer au ballon-panier à Smooth Rock ou à Cochrane. Ah oui, mais les souvenirs des voyages en autobus avec les autres élèves de l’école dépassaient certainement la douleur d’une perte au basketball.

Nous avions aussi des danses au gymnase. C’est là qu’on a appris le rock ’n’ roll. (Je sais que ça fait longtemps de ça, mais je m’en souviens comme si c’était hier !) C’est là aussi que nous passions nos récréations en hiver (jusqu’en 1963) puisque toutes les classes étaient aux mêmes heures. On y avait installé des tables de pingpong.

Dans le coin sud-est, il y avait le vestiaire pour les garçons, avec des douches sur le ciment sans finition. Tout près, il y avait la salle de fournaise et un escalier qui menait dehors, les deux places favorites pour aller fumer durant la journée, spécialement en hiver.

À côté des douches pour garçons, il y avait un escalier pour monter au deuxième étage près du bureau du principal de l’école. Le vestiaire pour les filles venait ensuite, suivi d’un plus petit gymnase dans lequel on a aménagé deux classes régulières durant mes 11e et 12e années parce qu’il y avait trop d’élèves. Après tout, on avait atteint une population de 81 élèves (dans toute l’école) et ça prenait de la place ça ! Ne riez pas, c’était plusieurs étudiants dans le temps.

Quelles belles années ! Avez-vous des souvenirs de ce gymnase ?

C’était en 1961, ma première année au Hearst High School. J’avais 13 ans et j’en étais à ma troisième année à travailler au Théâtre Royal. Les deux premières années, j’étais huissier avec ma lampe de poche et je plaçais les gens qui arrivaient en retard. Je travaillais seulement les fins de semaine. En 1961, cependant, j’avais gradué au poste de « déchireur de billets » à la porte d’entrée. Je travaillais donc tous les soirs de la semaine et le samedi après-midi. La vente de billets se terminait à 10 h le soir, ce qui me permettait de retourner chez moi. Je partais à la grande course puisque la sirène de 9 h avait déjà sonné. J’avais peur de me faire arrêter par un policier, mais je n’ai jamais eu de problème parce que la plupart du temps les policiers étaient au théâtre à regarder le film gratuitement, debout sur des caisses de boissons gazeuses à l’arrière de la salle. Je demeurais au 1124 rue Prince. Un soir, au début de septembre, en passant devant le High School j’ai remarqué que les lumières de la classe près du bureau du principal Charbonneau étaient allumées. Je trouvais ça étrange et plus tard j’ai demandé à mon frère Raymond, qui était en 11e année, s’il en savait quelque chose. « Ils ont embauché un nouveau prof », me dit-il. « Il arrive de Smooth Rock Falls et c’est sa première année d’enseignement. En plus, ils lui ont donné les mathématiques et les sciences à enseigner. Ce n’est pas surprenant qu’il passe ses soirées à se préparer. Son nom est Jean Gagné. » Au début de l’année scolaire, j’apprends qu’il était mon prof de maths et de sciences. Plus tard, on a trouvé un prof de sciences (M. Fritz Stiller) pour lui soulager la tâche. Nous avons passé de belles années avec ce jeune enseignant qui travaillait très fort et avait toujours à cœur le succès de ses élèves.

En 1962-1963, lorsque j’étais en 10e année, je faillissais les sciences avec M. Stiller. M. Gagné qui, dans le temps, était aussi conseiller en orientation, m’avait pris de côté et avait jasé avec moi pendant un bon bout de temps au sujet de mon rendement en sciences. Je me souviens que j’avais décidé de me retrousser les manches et à la fin de l’année ma note en sciences avait remonté dans les 80.

En 1963, nous étions en classe de english et, tout à coup, on entend cogner à la porte. Sans attendre qu’on lui dise d’entrer, voilà M. Gagné qui arrive dans la classe, tout essoufflé et blanc comme un drap, en disant : « On a tiré sur le président Kennedy. On ne sait pas qui a fait ça ni comment est le président. » John F. Kennedy est mort plus tard dans la journée. Dans le temps, on venait de passer à travers la crise de Cuba et tout le monde se doutait qu’il pouvait s’agir d’une vengeance de la Russie. Plusieurs envisageaient la possibilité d’une troisième guerre mondiale.

En 1964, le directeur Armand Côté donne la permission aux profs Gagné et Labrosse de construire une patinoire extérieure, à l’ouest de l’école. Ils achètent donc les bandes pour ériger le périmètre de la patinoire et organisent une fin de semaine avec des étudiants volontaires pour arroser 24 heures sur 24. Je faisais partie de ces volontaires. Inutile de dire que nous n’avions pas les talents d’un monsieur Stolz qui arrosait la patinoire au centre récréatif pour étendre une mince épaisseur d’eau à la fois et répéter le processus couche après couche. Le lundi matin, nous avions créé une patinoire avec des bosses partout, sur laquelle il était impossible de patiner. On a donc laissé tomber la patinoire extérieure, mais je n’oublierai jamais le plaisir que nous avons eu à travailler et vivre ensemble, profs et élèves, jour et nuit, pendant cette fin de semaine.

Il va sans dire que l’exemple qu’il a toujours donné s’est avéré une influence marquante sur mon choix de carrière comme enseignant. Je me rappelle que lors de la visite des parents à l’école élémentaire Saint-Louis où j’enseignais il venait toujours me voir en classe et nous avions constamment une discussion sur le rendement et l’attitude de ses enfants. Lorsque j’ai accédé au poste de directeur du côté français et catholique de l’École secondaire Hearst High School, je me demandais comment il réagirait, mais il a toujours su faire preuve de professionnalisme tout en gardant à cœur le succès de ses élèves.

Jean Gagné a touché plusieurs vies lors de son séjour à Hearst et je suis très fier d’admettre que je suis un de ceux-là. Jean ne faisait pas beaucoup de bruit, mais il a certainement laissé sa marque.

La photo de Jean Gagné a été affichée sur le site Hearstory par Ernie Bies.

Je me souviens de son grand-père, Honorius Blouin, qui était cordonnier et vendeur de scies à chaine sur la rue George à Hearst, près de la pharmacie, pendant les années 50 et 60. Son père, Donald, et sa famille demeurent plus tard sur la rue Prince juste en face de chez mes parents, et voisins de la famille Gérald (Ti-Blanc) Boisvert. Les anciens de Hearst se souviennent de Donald comme gérant de Levesque Lumber pendant plusieurs années. La famille Blouin a toujours été connue comme étant de bons vivants, avec le sourire aux lèvres et une farce à raconter. Ils étaient tous de gros travailleurs et participaient activement aux activités de la communauté. Mario est fait de la même étoffe.

Il gradue de l’École Saint-Louis en 1978 et de l’École secondaire catholique de Hearst High School en 1982, se qualifie comme soudeur et plus tard épouse Gisèle Lecours, fille de Clément Lecours. Après avoir complété ses qualifications d’enseignant, il est embauché à l’École secondaire catholique de Hearst High School. En plus de l’appui de sa famille, dès le départ, Mario peut compter sur deux personnes en administration qui croient beaucoup à l’avenir de la technologie en éducation, soit le directeur Ken Labrosse et le chef du secteur de la technologie, Claude Veilleux. Ceux-ci sollicitent une subvention de 200 000 $ offerte par le gouvernement provincial pour le secteur technologique, ils achètent l’équipement nécessaire et envoient de jeunes enseignants, tel Mario, se qualifier pour l’opération et l’enseignement du nouvel équipement.

Au milieu des années 1990, l’éducation technologique connait une réforme complète lorsque le ministère de l’Éducation adopte l’approche généralisée. Auparavant, les programmes étaient axés sur l’enseignement de compétences orientées vers des métiers spécialisés comme la plomberie, l’électronique et la fabrication. Mais à mesure que les descriptions de postes deviennent plus générales, le ministère reconnait la nécessité d’acquérir des compétences transférables aux domaines des communications, de la recherche, de la conception, de la gestion personnelle et du travail d’équipe. Le nouveau modèle généralisé regroupe de nombreux cours, auparavant indépendants, en deux parties. La partie A englobe les cours accueil, design technologique, services personnels, technologie de la construction, technologie de la fabrication, technologie des communications et technologie des transports. La partie B comprend systèmes informatiques et études informatiques. (Pour parler profession, Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario décembre 2008.)

Mario en profite pour diversifier ses connaissances et ses habiletés dans le domaine technologique. En plus de la soudure, il se qualifie pour enseigner la conception et la robotique, l’ingénierie et la fabrication, l’informatique, les communications et l’animation, le GPS/SIG et la production vidéo. Dans son école, le cours de conception technique de 9e année est obligatoire. Sept ateliers sont tous équipés, des conseillers d’orientation sont disponibles, et les horaires autorisent des options technologiques supplémentaires. Une fois qu’ils terminent l’école, les élèves peuvent suivre une formation professionnelle, s’inscrire à des cours collégiaux ou faire des études en génie.

Mario enseigne pendant 33 ans à l’École secondaire catholique de Hearst (jumelée à Hearst High School au début) en robotique, fabrication, design et TI. Il termine sa carrière en tant que responsable du secteur des études technologiques et de la MHS. Il participe activement aux compétences des métiers (compétitions provinciales, nationales et internationales) pendant 28 ans. Il est coprésident de la compétition de la robotique pendant 16 ans. Il fait partie du Conseil ontarien pour l’éducation technologique (COET) depuis le début. Il occupe le poste de coprésident des leadeurs en technologie pour les conseils scolaires (LTCS) pendant plusieurs années. Il travaille au sein du comité d’éducation et gère l’information en français sur le site Web OCTE.CA. Il assure la traduction des documents. Il représente les francophones au sein de l’association et veille à la survie de la technologie en français en Ontario.

Les succès de Mario Blouin :

Ce que Mario Blouin dit et ce qu’on dit de Mario Blouin

Photo : Site du Conseil ontarien pour l’éducation technologique

 

Préambule : J’avais presque complété la rédaction de ce texte sur la vie de cette artiste aux talents extraordinaires qui a toujours démontré « de la couenne dure » (avoir les nerfs solides, être coriace, endurcie, résistante, comme elle le dit elle-même) lorsque je suis tombé sur un article de 2019 faisant allusion au cancer incurable avec lequel elle vivait depuis 2014. Comment peut-on s’imaginer qu’elle soit capable de publier un dix-septième livre en 2023 et le faire en démontrant encore une fois le meilleur de son talent tout en étant touchée par ce fléau ? Chapeau, Louise !

Citations de Louise

« Tout est présent dans la nature. La vie, la mort, la tristesse, la beauté. Tout est là. Tous les sentiments humains, on peut les retrouver dans la nature, si on se donne la chance de la regarder et de l’observer. » (Louise Tanguay, photographe, émission Ici Ottawa-Gatineau, Radio-Canada, 6 juin 2019.)

« Je remercie le Nord, je remercie les orignaux, les épinettes noires et même les maringouins », énumère-t-elle en riant. « C’est peut-être à cause d’eux que j’ai la couenne dure et que j’ai réussi à passer à travers certaines choses. » (Louise Tanguay, photographe, émission Ici Ottawa-Gatineau, Radio-Canada, 6 juin 2019.)

Sa vie

Mes premiers souvenirs de la famille Tanguay me ramènent aux années 50. Le père, Lucien Tanguay, si je me souviens bien, est vendeur d’assurance et un fervent Chevalier de Colomb. Il participe beaucoup aux activités de l’Église. La mère, Berthe, retourne aux études, complète son baccalauréat et devient enseignante au primaire. Ils ont quatre enfants : Louis, Jean, Paul et Louise.

Comme plusieurs autres jeunes filles de Hearst dans le temps, Louise fait son primaire aux écoles Sainte-Thérèse et Saint-Louis, son secondaire à l’Académie Saint-Joseph et son bac au Collège universitaire de Hearst. Elle étudie aussi le piano pendant dix ans. Au début des années 70, elle se joint à Paulette Gagnon comme marionnettiste pour La Fabrik à Pantouf. Elle fait aussi partie du groupe La Pitoune et participe aux camps d’été pour les arts, Potion Magique 1 et 2 comme animatrice. Elle rejoint ensuite son frère Paul, un des fondateurs du journal Le Nord, en tant que maquettiste où elle apprend sur le tas. Elle s’empresse, après son travail, d’aller retrouver ses amies Lise et Yvonne Camiré, Georgette Villeneuve, Linda Fillion, Lise Proulx et/ou Suzanne Arseneault avec lesquelles elle joue de la mandoline, de la guitare et même de la batterie dans le groupe The Melo-Bels. Elle participe aussi avec ses compagnons Donald Poliquin et Paulette Gagnon, entre autres, à Théâtre Action. Ils parcourent la province donnant des spectacles surtout dans les écoles.

Enfin, avec Donald Poliquin, elle forme un duo de musique traditionnelle. « Tournées dans les écoles, mais aussi voyage au Japon et même la première partie d’un spectacle de Daniel Lavoie aux FrancoFolies de La Rochelle. Mais la tournée avec un enfant de 3 ans, ce n’est pas évident. Adieu la carrière musicale ! Un changement qui l’amène à déménager à Gatineau où elle habite maintenant. » (P. Gingras, La Presse, 27 novembre 2004 p. 17.)

Ses talents en photographie

Et la photographie ? Louise expose des photos pour la première fois à la Galerie 815, à Hearst, Ontario, en 1988. Depuis, ses photos ont fait l’objet de multiples expositions. Elle s’est associée à une galerie d’art pendant quelques années et a offert des ateliers sur la photographie. Elle prononce également des conférences et donne des présentations dans les écoles. Elle a guidé des excursions photographiques à Hawaii, à Paris, en Toscane, au Maroc et en Namibie. Ses photos ont été publiées dans des revues et journaux prestigieux tels que  Canadian Geographic,  L’actualité, Equinox, La Presse et The Globe and Mail, sans oublier Winds, la revue distribuée à bord des avions de la Japan Air Lines.

Véritable poète de l’image, Louise Tanguay porte sur la nature un regard original et très personnel. Chaque livre qu’elle publie « est plus qu’un livre d’art, c’est un plaidoyer pour la protection de l’environnement, dit-elle. Faire de l’art pour l’art, c’est égoïste. Je veux que mon livre soit utile pour l’environnement. Nous dépendons de la nature et, malheureusement, nous la gaspillons. Si une seule photo peut faire une différence, cela aura valu la peine, ajoute la photographe. » (Entrevue avec France Pilon du journal Le Droit, 4 octobre 2003, p. A 5.)

On ne peut pas vraiment rendre justice à l’art de Louise Tanguay sans visiter son site Internet au https://www.louisetanguayphotographe.com/ Son site est accessible dans les deux langues : français et anglais. Sous le titre PORTFOLIO elle expose des photos incroyablement touchantes dans les catégories suivantes : intelligence artificielle, œuvres récentes, animaux, divers, éphémères, fleurs, oiseaux, jardins, nature et voyages. On y retrouve aussi des photos encadrées à vendre ainsi que des cartes de souhaits. Dans la partie PROJETS, elle étale des murales qu’elle a créées pour les Jardins de Métis, Grand-Métis, QC ; le Holland Bloorview Kids Rehabilitation Hospital de Toronto ; l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa ; le Manoir Ronald McDonald de Toronto ; et l’Hôpital Mount Sinai de Toronto. Sous DIAPORAMA, Louise nous amène dans le monde des tulipes du Festival des tulipes d’Ottawa ; du jardin Keukenhof des Pays-Bas ; du festival des tulipes d’Istanbul en Turquie ; ainsi qu’au jardin de Monet à Giverny en France. Finalement, l’onglet LIVRES nous donne un aperçu des dix-sept (17) livres qu’elle a publiés.

Photo : louisetanguayphotographe.com

Lorsqu’on discute des gens qui ont influencé la société de Hearst, de l’Ontario, du Canada et d’ailleurs, on oublie souvent le monde des arts. Pourtant, c’est un domaine dans lequel plusieurs des nôtres ont excellé et laissé une empreinte vivante des gens du Nord. Paulette Gagnon est l’une de ces personnes.

Mes premiers souvenirs remontent aux années 50. Monsieur et madame Gagnon, Ben et Pauline (Lecours), demeurent à deux maisons de chez nous, au coin de la rue Prince et de la 12e Rue. Ben est propriétaire d’une quincaillerie sur la rue George près du Théâtre Cartier (Gagnon Hardware). Au début des années 60, il vend son magasin et devient administrateur au Conseil des écoles séparées de Hearst. Ben et Pauline ont six enfants : Marcel, Alain, Paulette, Rémi, Julie et Bernard. Paulette est née en 1955.

Encore adolescente, Paulette se joint au groupe La Pitoune et participe au camp Potion Magique à Calstock dans un ancien camp de bucheron. C’est durant ces activités qu’elle découvre son amour pour le théâtre communautaire. Elle passe les prochaines années à Hearst auprès de Direction Jeunesse. « Chez nous (à Hearst), tout était en français. Ce fut donc un choc lorsque j’ai commencé à me promener dans les autres communautés francophones du Nord, où l’anglais avait une plus forte influence. Des francophones qui avaient un fort accent anglais, je ne connaissais pas ça », raconte-t-elle. (entrevue avec Charles Thériault pour le journal Le Droit, 16 février 2009, p. 14)

Paulette s’associe ensuite à Donald Poliquin et Louise Tanguay ; ils forment la troupe Théâtre Action, un organisme de service pour les arts ontariens. Le milieu des arts est en plein essor durant les années 70. « C’était une période fascinante et j’ai embarqué dans cette vague en tant qu’organisatrice d’ateliers sur le théâtre. Avec Théâtre Action, j’ai beaucoup appris, ce fut mon école. J’ai organisé des évènements, des festivals, un peu partout dans le Nord de l’Ontario. » (Entrevue, Le Droit, 16 février 2009, p. 14)

Paulette passe ensuite au Théâtre du Nouvel-Ontario à Sudbury (1982-1996) où elle occupe plusieurs postes, dont celui de directrice générale à partir de 1990. Elle joue un rôle de premier plan dans la mise sur pied de la salle André Paiement du Théâtre du Nouvel-Ontario. À la même époque, elle œuvre aussi bénévolement au sein de Théâtre Action, de l’Alliance culturelle de l’Ontario, organismes provinciaux qu’elle présidera tour à tour, et de TVOntario.

Vient ensuite un séjour au Conseil des Arts de l’Ontario où elle est entre autres responsable de la mise à jour des programmes franco-ontariens. Lors de cette période, elle écrit le conte « J’ai pas toujours eu l’air que j’ai », produit sur scène par le Théâtre du Nouvel-Ontario.

Paulette déménage à Ottawa en 1997 pour devenir directrice du Théâtre de la Nouvelle Scène qui se veut un toit permanent pour différentes compagnies de théâtre, notamment le Théâtre de la Vieille 17, la Compagnie Vox Théâtre, Le Trillium et le Théâtre Catapulte. Paulette vit l’effervescence et les tiraillements qui entourent la naissance et le financement de La Nouvelle Scène, projet qui s’est concrétisé en 1999. Elle travaille ensuite comme chargée de projets au Théâtre français du Centre national des Arts jusqu’en 2005. De 2005 à 2010, elle devient directrice générale de l’Association des théâtres francophones du Canada.

Après 2010, Paulette se réinstalle à Sudbury menant différents mandats, dont celui de directrice du développement du Regroupement des organismes culturels de Sudbury. Elle réussit à consolider le financement du projet de construction de la Place des Arts du Grand Sudbury en 2017.

Tout au long de sa carrière, « Paulette Gagnon s’est impliquée au sein de conseils d’administration et dans des activités de représentation et de positionnement politique, se portant à la défense de la culture franco-ontarienne et veillant à l’avancement du théâtre franco-ontarien et franco-canadien. » (entrevue, Le Droit, 16 février 2009, p. 14)

Paulette est décédée subitement le 11 octobre 2017. Elle laissait en deuil trois enfants : Marianne, Julien et Félix.

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Prix de distinction

En hommage :